Découvrez, ou redécouvrez, la passionnante histoire de l’un des précurseurs du e-commerce. Zappos est un cas d’école particulièrement intéressant à étudier pour tout entrepreneur, et conserve à ce jour l’une des cultures d’entreprise les plus atypiques et les plus étudiées.
La genèse
C’est l’histoire d’un business qui a été lancé car son fondateur ne trouvait pas chaussure à son pied. Littéralement.
Nous sommes en 1999, dans la baie de San Francisco. Après ses études, et une courte – mais stimulante – expérience au sein de la jeune société à l’origine d’Autoweb.com, Nick Swinmurn est à l’affût d’une bonne idée.

Parce qu’il ne trouve pas le modèle spécifique de chaussures qu’il souhaite dans les galeries marchandes de sa ville, il se dit qu’il y a une opportunité à explorer et décide de se lancer.
Pragmatique, Nick commence par faire le tour de quelques magasins en leur proposant de photographier leurs produits, de les mettre en vente en ligne et de revenir les acheter au prix fort si il reçoit des demandes.
Il monte un premier site qui va à l’essentiel, Shoesite.com, et réalise ses premières ventes au travers de ce que l’on aurait appelé de nos jours un Minimum Viable Product.
Seed Money
Persuadé qu’il tient là un vrai potentiel et qu’il lui faut mettre un énorme catalogue en ligne, il fait la tournée de son réseau pour accumuler du love money. Lorsqu’il parvient à rassembler 150 000 dollars il abandonne le boulot alimentaire qu’il a pris chez Silicon Graphics.
Armé d’une simple statistique de 1998 affirmant que 5% des chaussures vendues aux Etats-Unis le sont par correspondance au travers de catalogues, Nick entame une tournée des VCs.
Il parvient à obtenir de nombreux rendez-vous chez les principaux fonds d’investissement (c’était encore raisonnablement possible à l’époque), mais se heurte à une série de refus.
« Personne ne voudra acheter des chaussures sans pouvoir les essayer« . C’est la réponse standard qu’il obtient. Peu importe que deux milliards de dollars sur les quarante que représente alors ce business se font déjà par correspondance. Les investisseurs bloquent essentiellement sur cette position.

Sa seule source d’enthousiasme vient d’un tout jeune fond, Venture Frogs, créé l’année précédente par Tony Hsieh et Alfred Lin.
Tony Hsieh avait créé la société LinkExchange en 1996, et l’avait cédée à Microsoft pour 265M$ en 1998. Alfred Lin, que Tony connaissait depuis leurs études à Harvard, l’y avait rejoint comme associé et CFO.
Tony est emballé par le projet de Nick, et Venture Frogs transmet une termsheet pour un investissement initial de 500K$.
Décollage de la fusée
Une fois les fonds sécurisés et la société installée dans l’incubateur de Venture Frogs, Nick peut recruter Fred Mossler, l’acheteur local de Nordstrom, qui accepte le risque de rejoindre la startup fraîchement financée en tant que Senior VP of Merchandising. L’absence dans l’équipe d’un cadre issu du business de la chaussure était un autre argument que certains fonds avaient mis en avant pour justifier leurs réticences.

1999 est une année modeste mais encourageante, avec près de 200 000 dollars de chiffres d’affaire. Après avoir commencé par acheter son stock directement dans les magasins, et avec l’arrivée de Mossler, la société se met à discuter avec des marques en direct et peut passer à la vitesse supérieure.
L’année suivante, l’entreprise se retrouve à court d’argent, faute d’avoir convaincu d’autres investisseurs. Tony décide de continuer à financer seul. Par ailleurs, il soulage de plus en plus Nick sur de nombreuses décisions, notamment sur les aspects techniques et devient co-CEO. Cette même année, la société multiplie pratiquement son chiffre d’affaires par 10 et atteint 1,8M$.
En 2001, Tony pousse un cran plus loin son investissement au sein de Zappos et y intègre tout le staff de Venture Frogs. La société fait alors un CA de 8,6M$.
Du dropshipping à l’excès de stock
Ces premiers résultats impressionnants ont été rendu possibles par l’implémentation efficace d’un modèle de dropshipping. A l’instar d’Amazon à ses débuts, Tony a décidé de reporter le risque et les coûts du stockage de l’inventaire vers les fournisseurs et ceux dont c’est le métier. C’est sur cette base que la société a fait ses trois premières années de croissance.
A partir de 2002 Zappos s’engage pleinement dans sa stratégie de totalement maîtriser l’expérience client. Un axe qui guidera dorénavant toutes les grandes décisions opérationnelles.

Cela se traduit d’abord par l’internalisation totale de l’inventaire et l’abandon du dropshipping. La société ouvre un centre de traitement des commandes dans le Kentucky. Un risque considérable vu la portion du chiffre que représentait ce dernier et le coût que représente la création et le renouvellement du stock. Tony va d’ailleurs jusqu’à vendre son loft de San Francisco pour financer l’opération.
Le chiffre d’affaire continue de croître considérablement et dépasse la barre des 30 millions de dollars, sans que la société ne soit rentable pour autant.
La gestion de stock a encore besoin d’être considérablement améliorée car les acheteurs de Zappos laissent encore les représentants des marques sélectionner les modèles qui selon eux se vendront le mieux. Ce picking délégué contribue surtout à générer un stock toujours plus important et une grande quantité d’invendus.
La course à la rentabilité
Malgré une notoriété qui devient considérable, la société traverse une longue période sous la menace de deux épées de Damoclès : le renouvellement de sa ligne de crédit et les délais de paiement de ses fournisseurs.
Tony exercice une très forte pression sur les coûts et des sacrifices sont constamment négociés avec les collaborateurs toujours plus nombreux. Ces derniers sont notamment encouragés à troquer des coupes de salaire contre des pelletées de stock options, une tactique déjà éprouvée à cette époque dans la Valley.
Il ne se contente pas de réduire les coûts et va vendre des actifs personnels pour injecter jusqu’à 15 millions de dollars durant ces années de sprint vers la rentabilité pour maintenir la trésorerie à flot.

En 2003, le dropshipping ne représente plus que 25% du chiffre d’affaires et le chiffre atteint 70 M$. La société flirte alors avec la rentabilité, mais le stock toujours croissant accentue sa dépendance avec la ligne de crédit. Cela n’effraie pas Tony qui prend alors la décision de ne plus avoir la moindre commande qui ne soit pas expédiée depuis l’entrepôt de Zappos. En un clin d’œil, la société renonce à 25% de son chiffre d’affaire.

Zappos se relocalise en 2004 à Henderson, dans la banlieue sud de Las Vegas. Un changement motivé par la maîtrise des coûts car les frais de structure y sont bien plus faibles, mais aussi par l’accès à un bassin de l’emploi plus adapté au personnel recherché par Zappos pour faire croître son service client.
Tony Hsieh et la culture de Zappos
Avant de continuer le récit chronologique de Zappos, il me paraît important d’évoquer plus avant la culture de cette entreprise, telle que Tony Hsieh l’a souhaitée puis incarnée auprès de ses collaborateurs tout au long de la vie de l’entreprise, et toujours aujourd’hui.
Les moteurs qui font avancer un entrepreneur ou un collaborateur sont multiples et variés. A chacun son cocktail. Dans le cas de Tony, la culture de l’entreprise est l’élément le plus important. C’est son inadéquation avec la culture de l’entreprise qui le mena à quitter son premier job chez Oracle au bout de quelques mois. Puis à quitter sa propre entreprise LinkExchange, lorsque Microsoft en fit l’acquisition, sans même attendre la totalité de son vesting de stock options car il n’était pas parvenu à en conserver la culture lorsqu’elle dépassa la centaine de collaborateurs.

Avec Zappos, Tony et Nick décidèrent très tôt que le cœur de métier de l’entreprise ne serait pas de vendre des chaussures, mais d’apporter le meilleur service aux clients. Tony n’a jamais été particulièrement intéressé par les chaussures, mais c’est un passionné du service client. Pour lui, le customer care n’est pas juste un département au sein de Zappos, mais c’est la société toute entière. Et il pousse cette philosophie plus loin que n’importe quelle autre entreprise de commerce électronique.
Appliquant l’adage corporate selon lequel des employés heureux font des clients heureux, Tony a mis très tôt en place des conditions et des méthodes de travail qui n’ont rien à voir avec votre centre d’appel traditionnel. Les collaborateurs n’ont pas d’objectifs en nombre d’appels « résolus ». Ils doivent simplement consacrer leur temps de travail à parler aux clients, à établir des connexions sincères avec eux. Peu importe la durée d’un appel. Le plus long échange téléphonique avec un client chez Zappos est de plus de 10 heures.
Les anecdotes racontant jusqu’où les collaborateurs et collaboratrices du centre d’appel de Zappos sont prêt(e)s à aller pour satisfaire les clients sont nombreuses. Qu’elles soient vraies ou parfois exagérées, elles contribuent à la marque Zappos. Cette dernière s’est construite autour de cette culture, du jusqu’au-bout-isme qu’elle engendre dans le service apporté à ses clients, au point que 75% des commandes proviennent de clients récurrents.
L’adhésion des collaborateurs à la culture de l’entreprise est une telle priorité que chaque nouvelle recrue dispose d’un mois pour changer d’avis si elle s’aperçoit que ce n’est pas pour elle et quitter la société avec une prime de 2 000 $ (prime qui passera à 3 000 $ post acquisition d’Amazon et qui inspirera Jeff Bezos à tester un système similaire dans son groupe).
Premier contact avec Amazon
Nous reprenons le fil notre récit en 2004, quand Sequoia Capital devient actionnaire (après avoir déjà refusé le dossier à deux reprises) durant la première moitié d’un tour de table de 35 M$. Les ventes continuent alors de monter en flèche car la société réalise cette année un CA de 284 M$.

Tony Hsieh fait rentrer son ami et associé Alfred Lin en tant qu’associé et CFO en 2005 et Sequoia Capital complète son tour de table. Le chiffre augmente encore pour atteindre 370 M$.
C’est cette même année qu’a lieu une première rencontre avec Jeff Bezos qui dévoile son admiration pour le travail réalisé au sein de Zappos, et notamment la culture si spécifique de l’entreprise et son approche du service client. Si la rencontre laisse un bon souvenir à tous les intervenants, elle ne débouche toutefois pas sur un deal.
Tony et Nick considèrent que Zappos peut devenir une marque globale capable de vendre des produits et des services très variés et que l’histoire n’est qu’à son début. Leur plan vise à atteindre le milliard de dollars de chiffre d’affaire en 2010.
De plus, Tony souhaite tout particulièrement voir si la culture d’entreprise de la société peut vraiment avoir l’impact qu’il lui prédit. Zappos est, selon lui, essentiellement perçu par Amazon comme un excellent vendeur de chaussures, dont les opérations seront fusionnées avec celle de la maison mère en cas de rachat, avec le risque évident de perdre la marque et la culture.
Le milliard, et la rentabilité
En 2006 le chiffre d’affaires frôle les 600 M$. Nick Swinmurn s’ennuie depuis déjà deux ans dans une société très bien pilotée par Tony et dont les challenges opérationnelles sont essentiellement financiers. Nick quitte Zappos et part chercher dans de nouvelles aventures le plaisir de la création d’entreprise from scratch. Il reste propriétaire de l’intégralité de ses parts.
840 M$ de chiffre d’affaire en 2007, et un début de profitabilité. Zappos ouvre le Canada et fait l’acquisition de 6pm, un autre e-commerçant spécialisé dans les chaussures et les accessoires. Zappos profite de l’occasion pour ajouter de nouvelles catégories comme les vêtements, les sacs à main et les montres.

C’est en 2008 que la société atteint le milliard de chiffre d’affaires, avec deux ans d’avance sur le plan de marche défini par Tony. La rentabilité est aussi au rendez-vous et la culture d’entreprise, toujours plus solide et influente, joue pleinement son rôle dans le succès commercial. La rentabilité n’est pas atteinte sans heurt car cette même année la société se sépare de 8% de ses collaborateurs. Le cap est alors toujours de conserver l’indépendance et d’atteindre un introduction en bourse.
Crédit revolving et crise mondiale
A cette époque, la continuité opérationnelle de Zappos repose sur le renouvellement régulier d’une ligne de crédit de 100 millions de dollars. Chaque mois le renouvellement est lié à des objectifs de chiffre d’affaires et de ratios de profitabilité. Un pallier raté et les banques peuvent quitter le navire et déclencher une crise de trésorerie capable de tuer l’entreprise. Le niveau de risque augmente encore avec les conséquences de la crise financière globale de 2008. Le cas échéant, il deviendrait très difficile de trouver des banques prêtes à prêter 100 millions à une société comme Zappos.

Autre conséquence de la crise de 2008 : la dépréciation du stock en tant qu’actif de la société. La ligne de crédit de 100 millions est adossée aux actifs de Zappos, essentiellement composés du stock. Mais ce dernier n’est pas valorisé selon sa valeur d’achat, mais selon une estimation de la valeur qui serait collectée en cas de liquidation. Hors la crise économique mondiale contribue à déprécier cette estimation, augmentant encore la difficulté du pilotage financier de Zappos.
Même si l’on pouvait difficilement imputer ces difficultés aux performances réelles du business de Zappos, elles créent des tensions entre les membres du Board of Directors (Conseil d’Administration). Certains de ces membres considèrent que les efforts, et donc les dollars, investis dans la culture d’entreprise de Zappos ne sont pas nécessaires pour faire croître le business et sont plutôt un outil de communication.
La pression des investisseurs
Si Tony a pu financer seul les premières années de la société, ce sont plusieurs dizaines de millions de dollars qui ont été apportés plus récemment par des investisseurs extérieurs. Sequoia Capital est le principal fond extérieur, avec une participation cumulée de 48 M$.
Un fond comme Sequoia cherche un retour sur investissement conséquent, particulièrement lorsqu’il est en bonne position dans une entreprise à la croissance solide comme Zappos.
Sur les cinq membres du board, Tony et Alfred Lin (le CFO), sont les seuls prêts à tout miser sur la force de la culture de l’entreprise. Ils souhaitent conserver l’indépendance de la société et introduire celle-ci en bourse. Mais il est difficile pour eux de faire partager cette conviction aux autres board members.

Tony est bien conscient que les traitements accordés aux collaborateurs et le coût du service client pèse très lourd sur le déjà très fragile équilibre économique de Zappos. Tout en étant persuadé de la valeur de cet investissement sur le long terme, il peut comprendre la perception qu’en a le reste du board. Ce dernier souhaite plutôt qu’il se concentre sur l’augmentation des ventes et la profitabilité plutôt que sur le bien être des collaborateurs.
Par ailleurs, Zappos n’est pas le candidat parfait pour une introduction en bourse. Le volume de vente est impressionnant, mais les bénéfices sont modestes. Il n’y a pas l’obsession de l’optimisation des coûts et de la marge qui propulse un Amazon. La culture interne particulière de l’entreprise n’est pas non plus le meilleur argument pour massivement attirer de nouveaux investisseurs.
Le prix du Board
De manière directe ou indirecte, Tony est détenteur de la majorité des actions common et le board ne peut donc lui imposer une cession de la société. Mais les trois administrateurs qui souhaitent ce scénario, sur un board qui en compte cinq, peuvent donner congé au CEO et le remplacer par quelqu’un qui mettra la rentabilité au sommet de ses priorités.
La motivation de Tony et Alfred est telle qu’ils planchent sur un scénario radical: racheter leur board of directors. Ils évaluent le coût de cette opération à 200 millions de dollars et se mettent à la recherche de nouveaux investisseurs.
Nous sommes alors au début de l’année 2009 et Alfred Lin est de nouveau contacté par Amazon pour discuter d’une acquisition de Zappos. Tony est plutôt parti pour refuser de nouveau, mais Alfred a plutôt l’impression que la discussion sera cette-fois ci plus ouverte pour ce qui est de laisser Zappos fonctionner comme une entité indépendante. Par ailleurs, la valorisation dont Amazon semble prêt à discuter était trop élevée pour être simplement ignorée.
Nouvel entretien avec Jeff Bezos
Tony prend l’avion en avril pour avoir un entretien d’une heure avec Jeff Bezos. La discussion démarre sur une présentation de Zappos et prend une tournure plus décisive lorsque Tony aborde le sujet qui lui tient le plus à cœur : sa « science du bonheur », et ses bénéfices pour les collaborateurs et les clients de la société. Lorsque le sujet est abordé, le fondateur d’Amazon lui lance :
« Savez-vous que les gens sont particulièrement incapables de prédire ce qui les rendra heureux ?«
– Ce sont les mots exacts de mon slide suivant !« , lui répond Tony en projetant la diapo concernée.

Tony se sent plus à l’aise pour la suite de l’échange. Il essaye de trouver des contrepoids à ses divergences de vue quant à l’approche business de Bezos : ce dernier a construit l’expérience client de sa société en se battant sur les prix, là où Zappos n’a jamais cherché à se construire sur ce terrain. Là où Amazon va utiliser son service client pour identifier et corriger des problèmes pour optimiser le nombre d’appels, Zappos cherche au contraire à emmener les clients à contacter la société pour créer un lien plus personnel et émotionnel avec eux.
Là où Amazon est déjà une data company faisant reposer chaque décision sur d’implacables métriques, Zappos est une entreprise qui cherche à systématiquement intégrer de l’humain pour fidéliser ses clients.
Les deux hommes se retrouvent toutefois sur leur indéniable volonté de faire ce qui est mieux pour le client, et ce même au détriment des performances financières à court terme, au grand dam de leurs investisseurs respectifs. Leurs approches divergent, mais les fondamentaux se rejoignent.
Le mariage avec Amazon
A l’issue de cet entretien, Tony donne son feu vert pour démarrer les négociations. L’approche initiale d’Amazon est de proposer un rachat de Zappos en cash, mais cela ne correspond pas à la volonté de Tony. Celui-ci souhaite conserver l’approche entrepreneuriale et faire d’Amazon un partenaire pour la suite. Il demande à ce que le deal se transforme en échange d’actions Zappos contre des actions Amazon.
En juillet le board valide une proposition formelle d’Amazon et Tony partage la nouvelle à l’ensemble de ses managers. Il présente une situation où tous garderont leurs jobs, où la culture de Zappos sera préservée, tout en donnant à la société les moyens d’aller beaucoup plus vite. L’information est relayée aux équipes dans la foulée, et tous les collaborateurs du site de Las Vegas ont l’occasion de célébrer l’événement.
L’acquisition se concrétise le 1er novembre sur une valorisation de 1,2 milliards de dollars (correspondant peu ou prou au chiffre d’affaire que la société va atteindre la même année). Sequoia Capital sort de l’opération avec 248 M$, confirmant au passage que l’évaluation du coût de rachat du board de Tony et Alfred était particulièrement crédible.
Une fois Zappos au sein du giron d’Amazon, Tony ne modifie pas son salaire de CEO, qui n’était pourtant que de 36 000 $ annuel (probablement l’un des plus modestes pour une structure de cette envergure).
Et maintenant
Zappos fait à ce jour partie des rares sociétés qui ont réussi à maintenir un niveau d’indépendance exceptionnel après avoir rejoint et passé plusieurs années au sein d’un groupe comme Amazon.
Depuis l’acquisition, les bilans de la société ne sont plus accessibles, mais le trend historique permet de penser que la filiale génère autour de 3 milliards de dollars de ventes en 2018. Si le chiffre est impressionnant sur son domaine, il représente à peine plus de 1% de ce que génère le groupe Amazon.
Alfred Lin est parti en 2010 pour rejoindre Sequoia Capital en tant que partner. Quelques autres managers importants sont partis suite à la fusion, ce qui n’a rien d’étonnant pour une opération de ce type. Plus récemment, en 2018, c’est Fred Mossler, qui est parti avec un autre cadre de Zappos pour créer une marque de chaussure : « Ross & Snow« .

Tony Hsieh est toujours aux commandes de la société, bien qu’un partie de son temps soit maintenant consacré à des projets annexes : il a notamment écrit un livre, « Delivering Happiness », et s’est impliqué dans des projets de réaménagement du centre ville de Las Vegas.
La société a déménagé en 2013 dans le centre-ville de Las Vegas, occupant les bâtiments de l’ancien hôtel de ville. Tony semble avoir tout de même réussi à maintenir la culture si particulière de Zappos, dont le service client est toujours considéré aujourd’hui comme une référence, et est constamment testé, mesuré et pris comme inspiration par nombre d’autres entrepreneurs et sociétés.
En 2012, les entrepôts de Zappos au Kentucky ont basculé, avec leurs employés au sein de l’organisation d’Amazon. Il était évident que la partie logistique ne pouvait que rejoindre le réseau logistique massif de la maison mère.
La marque 6pm, dont la société avait été achetée par Zappos en 2007, est maintenant la vitrine discount de Zappos.
En 2015, Tony Hsieh a lancé le challenge de réorganiser la société en éliminant toutes les fonctions de management, selon le système de l’holacratie. Une révolution interne tellement radicale qu’il a proposé une prime de départ conséquente à ceux qui ne souhaitaient pas y adhérer. Cette option de sortie fût choisie par plus de 15% des effectifs de la société et génère toujours des difficultés en interne plusieurs années après sa mise en place.
Takeaways
L’histoire de Zappos est passionnante à mes yeux car elle regroupe un grand nombre de décisions et d’événements clefs qui sont très représentatifs de ce qu’un entrepreneur peut croiser sur sa route, quelle que soit l’ambition de son projet.
En voici quelques uns qui me paraissent particulièrement intéressants :
- Nick Swinmurn a créé un MVP sans vraiment le savoir au début de son aventure. Avec un site très simple et des partenariats « bricolés » pour sourcer les premières chaussures et gérer toutes les commandes en manuel.
- L’un des recrutements les plus importants de l’histoire de la société a lieu lorsque Fred Mossler, l’acheteur de Nordstrom, rejoint l’aventure. Les premiers cadres, hors fondateurs, d’une startup, se doivent d’être des game changers pour l’entreprise.
- Le passage de relais du fondateur silencieux, qui aime créer de nouveaux concepts depuis zéro et le CEO qui va trouver l’angle stratégique pour décupler le business. L’arrivée d’un associé CEO qui va donner de l’ampleur à la société après la mise en place du premier produit ou service par le ou les premiers fondateurs est encore un classique.
- La difficulté de rester aligner avec ses investisseurs sur le scénario d’exit. Les fondateurs ne doivent jamais perdre de vue les objectifs et les calendriers suivis par leurs investisseurs et savoir gérer leurs attentes, leurs déceptions, et leur éventuel remplacement.
- Cash is king. Zappos a failli mourir plusieurs fois de sa dépendance à des financements extérieurs. La société a été pilotée avec un niveau de risque très élevé sur cet aspect, en choisissant de sacrifier sa rentabilité à court terme pour constamment investir sur ce que les fondateurs ont considéré comme étant leur réel atout à long terme : la qualité de la relation avec leurs clients.
Sources et références :
Zappos Timeline on Footwearnews
Fortune.com : « Nick Swinmurn Zappos silent founder »
Nick Swinmurn interview on Business Insider
Dmnews.com : « Zappos.com acquires 6pm.com »
Techcrunch : Tony Hsieh explains why he sold Zappos to Amazon
Inc.com : « Why I sold Zappos »
Reuters.com: How Sequoia forced Tony Hsieh to sell Zappos
« Delivering Happiness », de Tony Hsieh
Amazon and Zappos, six months later (bizjournals.com)
Footwearnews.com about Fred Mossler exit
Fastcompany.com : Adopt Holacracy or Leave
Reviewjournal.com : Zappos sheds its Kentucky warehouses
Wikipedia : Zappos, Nick Swinmurn, Tony Hsieh, Alfred Lin