Fondateurs, devez-vous avoir peur de vous faire voler votre idée ?

Lorsque je discute avec des fondateurs qui se lancent dans leurs premiers projets de création, je constate chez beaucoup d’entre eux une réticence à dévoiler leur idée.

Ils n’ont pas de problème à me raconter leur projet car je les rencontre généralement au travers d’une connaissance commune ou d’une institution qui les met suffisamment en confiance.

Mais je les vois parfois faire de la résistance lorsque je les encourage à aller pitcher le plus souvent possible leur idée à d’autres entrepreneurs, des business angels ou même à la moindre occasion.

Alors, fondateurs, devez-vous vraiment avoir peur de vous faire voler votre idée de startup ?

L’origine de la peur

« Il est encore un peu tôt pour que l’on prenne le risque de raconter notre idée à trop de monde, nous préférons attendre d’avoir une première version du produit. »

« C’est vrai que nous avons besoin de tester notre pitch, mais si la société X entend parler de notre idée, ils vont se jeter dessus.”

Ce type de réponse n’est pas rare lorsque l’on propose à des fondateurs de partager leur idée.

Le déclencheur initial de la peur peut être compréhensible. Les fondateurs qui démarrent leur aventure considèrent que leur idée est le seul élément qui leur semble avoir de la valeur à ce stade. Par ailleurs, ils ont peut-être lu ou entendu des histoires d’entrepreneurs qui se sont fait « voler » leurs idées.

Et leur peur sera proportionnelle à l’appréciation qu’ils auront de la valeur de leur idée.

Dans le milieu entrepreneurial, il y a cette idée commune que cette peur est peu justifiée. Que c’est l’exécution seule qui importe et que les idées ne valent pas grand chose. Qu’il est essentiel de pitcher son idée le plus possible pour la maîtriser et l’améliorer.

Paul Graham, du Y Combinator, avait déjà cette réflexion lapidaire en 2005 et expliquait que « les idées de startup ne valent pas des millions, et il est possible de mener une simple expérience pour le prouver : essayez juste d’en vendre une. Rien n’évolue plus vite que les marchés. Le fait qu’il n’existe pas de marché pour les idées de startup laisse à penser qu’il n’y a pas de demande. Ce qui signifie bien que les idées de startups ne valent rien. »

Si l’on enlève la couche de provocation de sa déclaration, le fond me paraît assez juste. Et l’idée commune décrite juste avant correspond bien à mon expérience de l’entrepreneuriat.

Mais ce qu’il faut surtout réaliser je pense, c’est que l’idée de la startup ne prend sa valeur réelle que lorsqu’elle est associée avec ses fondateurs.

La valorisation de l’idée et des fondateurs

Ce n’est pas anodin si les investisseurs concentrent toute leur attention sur vous fondateurs lorsqu’ils étudient un dossier. Ils vont évaluer vos personnalités, les compétences et savoir-faire que vous apportez, vos expériences combinées, la nature et la solidité de votre association.

Bien sûr, ils vont aussi regarder l’idée. Ils vont la positionner dans une case de leur matrice en la rapprochant de startups existantes et/ou de tendances de marché. Elle sera traduite dans leur esprit par un raccourci du type le « blablacar des bateaux de pêche » ou le « airbnb des chambres d’hôpital ». Ils en déduiront des ratios financiers et un potentiel de financement et d’exit qui guideront en partie vos discussions avec eux si ils le décident.

Je caricature légèrement, mais la réalité ne me semble pas très éloignée. Ils sont trop professionnels pour se substituer aux entrepreneurs et se permettre un autre type de jugement de valeur sur votre idée.

Mais ce qui va décider des investisseurs à croire ou non dans votre startup, c’est le potentiel de l’idée associée à ses fondateurs.

Dans sa première aventure entrepreneuriale on surestime généralement la valeur « brute » de l’idée, et on sous-estime la valeur potentielle que lui confèrent les fondateurs.

Il y a déjà le chemin de réflexion qui a mené à l’idée. Des mois ou parfois des années à mûrir un raisonnement, des recherches et des intuitions qui ont façonné les esprits du ou des fondateurs à être parfaitement calibrés à lui donner ses meilleures chances de réussite.

Puis il y a l’engagement, la volonté et l’énergie que les fondateurs vont injecter dans le projet. On parle ici d’un carburant précieux pour faire décoller la fusée. Sans lui, l’idée ne quitte pas son état de simple discussion autour d’un café.

Le cas de Steve Blank et d’Ephiphany

Steve Blank, célèbre serial entrepreneur de la Silicon Valley, a raconté il y a quelques années la façon dont il s’est fait « voler » l’idée de sa startup.

Au début de son projet, dans une phase où il rencontrait des responsables marketing pour évaluer le potentiel de son idée, Steve commet l’imprudence de laisser une copie physique de son slide deck à un directeur marketing qui se montrait particulièrement intéressé par son projet.

Neuf mois passent, Steve a financé sa société (‘Epiphany’) et a lancé la commercialisation de son produit. Son modèle économique a déjà pas mal évolué par rapport à sa version d’origine et il est maintenant à la recherche de fonds pour un tour B.

Au cours d’un rendez-vous avec un important fond d’investissement, Steve tombe de sa chaise lorsque son interlocuteur lui présente les slides qu’il a lui même conçu il y a un an pour sa startup, mais affublés du logo d’une société qui n’est pas la sienne. « Ces types ont réussi à lever des fonds, et ils vous ressemblent curieusement ! » lui dit le VC.

Steve a tous les éléments qui permettent de démontrer qu’il était l’auteur original de ces slides, mais le fait est qu’il se retrouve maintenant avec un concurrent qui a levé des fonds sur la même stratégie initiale.

Renseignements pris, le concurrent en question a pour CEO le responsable marketing à qui Steve avait laissé son slide deck. Ce dernier s’était contenté de changer le logo pour trouver son financement.

Le choc est dur pour l’équipe d’Epiphany qui décide toutefois de ne pas se torturer plus que nécessaire et d’aller de l’avant.

Les effets du temps et de l’exécution

Cette histoire d’idée volée m’emmène à évoquer une autre raison pour laquelle il faut relativiser l’importance de l’idée dans ces premières phases de la startup :

L’idée évolue constamment. Le temps, et l’exécution, font leur travail pour la challenger et la faire évoluer.

Le concurrent malhonnête de Steve Blank avait basé sa stratégie sur une version de la stratégie d’Epiphany vieille d’un an, sans l’avoir faite évoluer. Tandis qu’Epiphany, déjà lancée dans sa dynamique depuis le premier jour, n’avait pas chômé et avait pu valider ou invalider les différentes hypothèses d’origine et rectifier sa stratégie et son modèle économique.

Les slides qu’a volé cet individu contenaient certes une idée et une stratégie, mais il s’agissait essentiellement d’hypothèses non vérifiées.

« Nous n’étions tout simplement plus la société présentée dans ces slides » explique Steve.

L’idée à l’origine d’une startup ne survit jamais à l’épreuve du temps et de l’exécution. Parfois il faut juste quelques mois, parfois c’est quelques années. Mais l’itération de votre idée qui fera réussir votre startup ressemblera probablement très peu à celle que vous avez initialement conçu.

Avec mes associés, nous avions pour habitude chaque année de regarder les différentes évolutions de nos slides decks depuis la création. Nous étions toujours surpris par l’écart qui se creusait avec la première version. Mais nous n’avions pourtant aucun mal à reconstituer l’histoire de chaque décision justifiant ces changements.

Dès le début les fondateurs s’entendent répéter à longueur de rencontre avec d’autres entrepreneurs, qui ont déjà des cicatrices partout, que l’exécution est la clef de tout. C’est certes devenu un lieu commun, mais ce n’est pas par hasard et je ne peux qu’y souscrire.

En n’oubliant pas de préciser que l’exécution est au service de la stratégie, et cette dernière se doit d’évoluer au fur et à mesure que l’on vérifie les hypothèses, que l’on en apprend plus sur son marché et ses clients ou utilisateurs.

Je pitch donc je suis

Je ne peux qu’approuver ce que la plupart des entrepreneurs vous diront sur le fait de partager votre pitch à chaque opportunité : c’est une étape particulièrement nécessaire pour les débuts du projet.

On partage l’idée auprès de prospects privilégiés pour mesurer l’intérêt qu’elle suscite. D’autres entrepreneurs pour confronter votre approche à leurs propres expériences. De quelques Business Angels pour affiner le discours. De son proche réseau professionnel pour se faire challenger gratuitement. Et auprès d’associés ou collaborateurs potentiels pour éviter que ça ne résonne trop dans des locaux vides.

Vous ne pouvez pas vous permettre de rester dans un isolement stratégique. Votre idée doit se mesurer au reste du monde le plus tôt possible et le plus souvent possible. Cela ne vous apportera pas de certitudes, mais cela fera progresser votre réflexion et vous emmènera peut-être à décider de fermer certaines portes ou de prioriser certaines hypothèses à vérifier dans votre exécution.

Créer un réseau autour de votre idée ne pourra que vous permettre de l’améliorer.

C’est d’ailleurs en provoquant ces interactions que les idées naissent à la base. Repensez au parcours qui vous a mené à ce que vous appelez aujourd’hui votre idée (et qui n’est finalement que l’image ponctuelle d’une réflexion en constante progression). Quelle est la part d’influence sur cette réflexion des échanges que vous avez eu par le passé avec des collègues, des entrepreneurs, des clients, des membres de votre famille ou des amis ?

Ce n’est pas parce que les choses deviennent maintenant très concrètes que vous devez considérer pour autant que votre idée est au pic de sa maturité. Vous vous devez de l’améliorer, et vous tenir prêt à la remettre en question.

Difficile de faire cela sans la partager à minima avec une audience bien sélectionnée.

Mesurons le risque

Prenez conscience des efforts et de l’énergie que vous êtes en train de déployer pour transformer votre idée en une véritable entreprise. Vous êtes mentalement prêt à vous investir pendant plusieurs années pour que votre projet voit le jour. Vous avez sûrement déjà commencé à organiser votre vie en ce sens. Votre cerveau et votre disque dur débordent des réflexions et éléments qui ont mené à votre idée.

Vous racontez maintenant les grandes lignes de votre idée à quelqu’un. Juste ce qu’il faut pour attiser son intérêt et obtenir de lui ce dont vous avez besoin : un avis d’expert, une marque d’intérêt commercial, un chèque de dix mille euros, etc.

Admettons que votre pitch soit exceptionnel. La jauge d’intérêt de votre interlocuteur affiche 100%.

Essayez maintenant de mesurer le bond mental que cette personne doit franchir dans les prochaines heures (voire les prochaines journées pour être généreux sur l’impact que vous avez eu sur elle), pour passer de « j’ai entendu une idée excitante » à « je quitte mon job et je consacre les 5 prochaines années de ma vie à vérifier que cette idée peut devenir une belle entreprise ».

J’ai mon avis sur la question, je vous laisse vous faire le vôtre.

Si l’on parle maintenant du cas des concurrents, ou des sociétés susceptibles de le devenir. Il faut là aussi mesurer l’impact nécessaire pour qu’une entreprise déjà sur sa lancée, particulièrement en cas de succès, prenne la décision de modifier son modèle, pivoter ou simplement d’ajouter une offre à son catalogue produit.

Une fois la décision prise, il y a l’inertie de l’implémentation. Les grosses sociétés ont besoin de temps, et ce n’est pas qu’une question de moyen. Quant au startup, elles sont focus par nature et font tout pour éviter de se disperser.

Si toutefois votre idée nécessite suffisamment peu d’efforts de décision et d’implémentation pour qu’une société, grosse ou petite, décide d’agir et puisse le faire dans un planning qui vous met en difficulté, je pense que le vol de votre idée n’est pas le fond de votre problème. Et que cela se produise maintenant ou dans six mois ne changera pas tellement votre niveau de risque.

En conclusion

Je ne cherche donc pas ici à dire que le risque n’existe pas. On peut trouver des exemples très instructifs sur le net, comme celui de Steve Plank cité précédemment.

L’essentiel des décisions d’un entrepreneur est lié à la prise de risque. Nous ne parlons ici que d’un risque parmi d’autres, et je souhaitais juste donner quelques clefs pour le ramener à sa juste proportion.

Il faut ensuite mettre ce risque face à celui qui est généré par un excès de prudence : s’engager dans de mauvaises hypothèses, ou rater des opportunités d’améliorer l’idée de manière considérable.

A vous de pesez le pour et le contre et d’agir en conséquence.

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